Jeûne en itinérance dans le Haut-Verdon : un territoire qui semble vouloir me retenir !
- Générations Nature

- 27 juil.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 juil.
Jeûner en itinérance : récits
Après avoir guidé une magnifique semaine de jeûne dans le Haut-Verdon, à mon tour de voyager à pied et en jeûnant. Mon but est d'aller explorer des vallons et des espaces encore secrets, d'aller là où ma carte me fait rêver depuis plusieurs années déjà.
Jour 1 :
Avant de débuter mon parcours je parcours quelques kilomètres de piste en voiture. Mon bolide n'est pas un véhicule tout terrain mais il est toujours opérationnel lorsqu'il s'agit de me rendre ce genre de services. Je me gare sur un petit dégagement et, une fois mon sac à dos chargé, j'embarque mon gros appareil photo et c'est parti pour cette nouvelle aventure !
Très vite je croise une petite voiture qui descend nerveusement. Sa conductrice, coquette aux cheveux blancs coupés bien courts s'arrête à ma hauteur pour me saluer gaiement, tout en m'apprenant aussi qu'elle vit là-haut, là où il y a les vaches, celles qui appartiennent à Marcel, Marcel qui est décédé cet hiver … Simplicité des rencontres en montagne, on va tout de suite à l'essentiel.



Pierres, rochers, montagnes, mémoires du monde, mémoire de ce monde, chahuté par des humains pourtant présents ici depuis une simple poignée d'années. Je passe devant d'anciennes bergeries, chauves, dont les vieux murs exposent fièrement de lourdes poutres qui n'ont plus de toit à supporter. Arrivée dans un premier village perché, un tilleul lourd de fleurs – floraison curieusement tardive – abrite les bourdonnements de centaines d'abeilles, bourdons et autres butineurs. Ces parfums délicieux diffusés par le murmure du vent comblent mes sens et ravissent mon âme. Les fleurs de tilleul me font toujours cet effet, un voyage sensuel qui me touche en plein cœur.
Ce vieux village à peine effleuré par la modernité – quelques voitures, quelques lignes électriques, garde les empreintes du passé, des ruines çà et là, des terrains terrassés, de minuscules ruelles pavées, un charme encore brut.
Mes pas me conduisent dans une magnifique forêt, sur un sentier bordé par endroit de vieux murets en pierres sèches couverts de mousse. De vieux hêtres laissent ensuite la place aux buis et aux genêts, les odeurs de vert et de soleil m'accompagnent. J'atteins un second hameau, inaccessible en voiture, dans lequel la commune a mis à disposition des randonneurs l'ancienne école, reconvertie en refuge. La vie dans ces hameaux de montagne a du être rude et pieuse comme en témoigne la présence de nombreux oratoires le long du chemin forestier.
Je laisse derrière moi ce petit havre de paix niché dans la montagne pour commencer à remonter ce long vallon, bordé sur sa gauche par une immense falaise abrupte. Sentier du Sud, où s'épanouissent les buis, les lavandes et les genêts. Je me dis que j'aimerais être serpent pour me faufiler avec élégance et agilité dans la vie ; l'un d'entre eux m'a montré l'exemple aujourd'hui en s'enfuyant aux vibrations de mes pas !
La cabane dans laquelle je pensais dormir est fermée, un chamois surpris par ma présence détale. Le plateau sur lequel je suis arrivée ressemble à un champ d'épinards, cette petite prairie a du accueillir un troupeau autrefois. L'absence d'eau explique peut-être que ce lieu d'estive soit à ce moment déserté … Un petit ruisseau se trouve en contrebas du plateau, j'ai pu m'y rincer avant de monter. Le vent, qui a soufflé tout l'après-midi, est finalement tombé, je peux monter la tente pour un bivouac au calme, seule et en paix dans ce vallon du bout du monde.
Journée 1 : 14,8 km, 1100D+ 700D-
Jour 2 :
La remontée de ce vallon est pleine de surprises, les paysages changent. Hier c'était une gigantesque falaise abrupte qui côtoyait un chemin provençal dans les buis, les lavandes et les pins, aujourd'hui c'est une large prairie d'alpage parsemée de mélèzes, avec en toile de fond des cathédrales de roche ocre et dorée.
Je retrouve le berger François, les chiens viennent me saluer tandis que le troupeau quitte lentement son enclos. Je prélève ma réserve d'eau et m'engage dans cette partie du vallon que je souhaite découvrir depuis longtemps. Je profite d'une belle étendue d'herbe pour m'allonger et finis par m'endormir. A mon réveil, les nuages se sont reproduits dans le ciel. Je reprends mon chemin et me sens comme déportée : je ne reconnais pas du tout l'environnement dans lequel je me trouve! Je poursuis, et finis par voir au loin ce qui ressemble à une cabane, j'espère que c'est celle que je cherche à atteindre, ou tout au moins qu'elle va me permettre de me situer sur ma carte ! Arrivée à proximité de cette cabane je ris de moi !! j'ai tourné en rond, comme en plein brouillard, et suis revenue à mon point de départ.
Je décide alors de poursuivre ma route par le chemin que je connais bien maintenant, et croise à nouveau François. Nous rions de mon manège, et avant de nous dire au revoir, il me cède le livre qu'il nous avait présenté quelques jours plus tôt, celui d'un philosophe, Frédéric Gros, sur la marche. Une lecture appropriée pour un jeûne en itinérance, et qui vient compléter les Lettres à un jeune poète de Reiner Maria Rilke déjà dans mon sac à dos.
Je suis alors une courbe de niveau, bien décidée à trouver la cabane que je cherche, La progression n'est pas toujours aisée dans ce terrain un peu en dévers, mais cette option m'épargne beaucoup de dénivelées, positive et négative. Le vent me fouette le visage, les marmottes et les chamois détalent à mon approche. J'atteins en fin d'après-midi mon but, un espace où la solitude et le sauvage règnent en maître. Encore une fois pas de troupeau ici cette année, deux cabanes vides, une grande fermée à clé et une autre, qui offre le strict nécessaire : un poêle, une table, un banc, et un bas-flanc pour s'allonger. Une fontaine joliment aménagée laisse chanter un filet d'eau, toujours providentiel dans ces longues marches à travers les montagnes. Ni faim ni troubles, je n'ai qu'à savourer d'être dans ce lieu préservé.
Journée 2 : 12,8 km, 900D+ 400D-






Jour 3 :
Matin du 3ème jour, les oiseaux et le soleil frappent à la porte de mon petit cocon, il est temps d'aller vivre une nouvelle journée au paradis ! Le ciel est immensément bleu, seule une légère traînée blanche de nuages filamenteux et la lune décorent l'azur. La fontaine me chante un air de joie et de paix, son eau rafraîchissante est le précieux cadeau du matin.
Qu'avons nous fait de ce monde ? Qu'avons nous fait de notre liberté? La simplicité de ces moments en montagne n'a d'égale que l'intensité du sentiment de paix qu'ils procurent. Être. Simplement vivre. Respirer ces parfums verts, d'orties et d'épinards. Être là, juste dans le moment présent. La vérité profonde semble nichée là, dans cet endroit, où tout est beau, tout est juste. Une invitation à vivre en artiste comme le décrit si bien Rilke : arrêter de calculer, expérimenter, créer...
Le jeûne se déroule à merveille, comme si mon corps recevait ce qu'il attendait : de l'effort, des grands espaces, du sauvage, du beau, du simple. Dans ces journées à marcher lentement la vie dure plus longtemps. Double cure de jouvence ! A quoi bon se tartiner de crèmes x ou y pour rajeunir quand jeûner et marcher en montagne offrent l'éternelle jeunesse, sans compter l'étendue des petits plaisirs et des grands bonheurs qu'on peut y glaner ! De quoi remplir la malle à souvenirs, celle qui tient chaud au cœur quand l'hiver impose sa rigueur.
Arrivée aux cabanes du jour, quel endroit merveilleux ! Le berger ne devrait plus tarder à investir les lieux car du matériel a été déposé en hélico. La fontaine n'est pas en service, je m'en passerai cette fois-ci. La cuisine est équipée d'un évier, d'une gazinière ; une grande table trône au milieu de la grande pièce, le sol en bois et le vieux poêle, les multiples témoignages affichés au mur du fond, l'ensemble est vivant, chaleureux, on entendrait presque les rires et les chants des visiteurs qui se sont succédés ! L'étage est équipé de plusieurs lits, plus qu'un abri de berger c'est un vrai refuge. Le vent fait chanter les mélèzes qui agitent leurs plumes vertes. Gardiens de cette prairie inondée de soleil, ils m'offrent leur mélodie tout en gardant leurs secrets. Ce vent ! Il ne m'aura pas quittée durant ces deux semaines. Symbole du mouvement, son message est plus que clair, il me faut de l'action, du mouvement dans mon corps, dans mes idées ! La sédentarité est un poison.
Trois jeunes arrivés en début de soirée ont finalement dormi dans l'autre cabane dont seul l'étage est aménagé. J'apprendrai le lendemain, en les croisant à nouveau, que leur nuit a été peuplée de cauchemars... parfois, dormir en pleine nature, même à l'abri des murs d'une cabane, peut bousculer l'inconscient lorsqu'on n'est pas habitué ! Moi j'ai plutôt bien dormi après la longue étape du jour.
Journée 3 : 8,7 km, 300D+ 550D-





Jour 4 :
Le lendemain je décide de me mettre en route tôt. Le chemin serpente dans une magnifique forêt peuplée de mélèzes dansants. Puis c'est un bois de pins qui semblent nettement moins adaptés à cet environnement. A la sortie du bois je surprends un chamois sur le chemin, à quelques dizaines de mètres plus haut. Ces rencontres avec la vie sauvage sont toujours des moments suspendus, emplis d'émerveillement, de curiosité et de fascination. Je traverse des territoires où je suis l'étrangère... Le chemin m'amène sur un plateau immense où trône au beau milieu une jolie cabane avec terrasse panoramique, encore vide d'occupants. L'eau y coule et je me réjouis de pouvoir remplir ma gourde, il fait déjà très chaud ce matin. Le lieu est surprenant, avec ces près à perte de vue, encore vides de troupeaux, mais peuplés d'armées de petits moucherons un peu trop envahissants à mon goût. Les effets du jeûne se font sentir, mes jambes peinent dans les montées, j'avance avec mesure, profitant de ce rythme lent pour m'imprégner encore davantage de ces paysages. Après un dernier effort j'entame la descente dans un terrain ouvert parsemé de mélèzes. Je commence à croiser à nouveau des randonneurs, signe que j'approche à nouveau de la civilisation, en l'occurrence le troisième village perché. Lorsque j'y arrive, je trouve refuge à la fontaine, son eau bien fraîche est bienvenue par cette chaleur de plus en plus écrasante. La grande place du village est animée, une troupe de théâtre amateur s'apprête à répéter son spectacle, qui sera donné en fin d'après-midi. Je profite donc d'une représentation en avant-première, d'une pièce qui parle des rapports des hommes avec le loup. Bien à propos dans un massif où quelques jours auparavant le berger évoquait la présence d'une meute de huit loups …
La chaleur est telle que je dois m'arrêter au milieu de l'après-midi. L'ombre d'un grand pin m'offrira une pause lecture, avant de remettre en route 2h plus tard et chercher un lieu de bivouac. Je pense avoir trouvé le replat idéal et me prépare pour une nuit à la belle étoile. J'adore ces soirées, où petit à petit, au fur et à mesure que le ciel s'assombrit après un festival de couleurs chatoyantes, les étoiles s'allument une à une. Mon spectacle favori est interrompu... je ne suis pas seule ici, ma présence contrarie une meute de sangliers, et je surprends dans le faisceau de ma lampe frontale un marcassin ! Je ne tarde pas à monter la tente, histoire de dormir quelques heures tranquille !
Journée 4 : 13,6 km, 200D+ 1100D-








Jour 5 :
Le matin du 5ème jour je pars à la fraîche, et carte à l'appui, je pense pouvoir rejoindre ma voiture en fin de matinée. La réalité sera tout autre, car le tracé du GR que je pense emprunter a été modifié, je mets un moment à trouver le chemin délaissé, traversant une ravine peu engageante, mais qui se prolonge par une splendide châtaigneraie avec de vieux arbres tous plus beaux les uns que les autres. Ici encore c'est habité, les esprits des anciens paysans veillent... Heureusement que cette fin de parcours est en forêt car le soleil est toujours au rendez-vous et le thermomètre grimpe vite. A quelques centaines de mètres de mon point d'arrivée le chemin me joue encore des tours, se perdant dans une coupe de bois. Comme si ce territoire voulait me garder … Je finis par retrouver mon véhicule en début d'après-midi, heureuse de cette nouvelle aventure, l'estomac vide et le cœur plein de gratitude. J'ai jeûné, j'ai marché, j'ai vibré !
Journée 5 : 9,5 km, 700D+ 500D-




NB : afin de préserver la tranquillité des lieux j'ai fait le choix de ne pas mentionner les noms des espaces traversés.




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