Microbiotes, l'être humain est un ensemble d'écosystèmes (qui souvent l'ignore!)
« Cultiver son jardin intérieur », vous connaissez cette expression ? La nature, vous le savez sans doute déjà, est un thème disons central dans mon approche de l'humain et du vivant en général. J'en ai d'ailleurs fait un néologisme (éconaturopathe). Et aujourd'hui j'avais envie de vous parler d'écologie … Alors j'entends déjà des voix qui murmurent ou qui s'élèvent : « ah non, pas encore les écolo, ces bobos culpabilisants ». Si ça peut vous rassurer, mon propos ici n'est pas de vous inciter à manger moins de viande et à prendre des douches froides « parce que c'est meilleur pour la planète » (encore que … le froid et les protéines végétales, question santé c'est vraiment top ! ). Et si vous préférez, vous pouvez arrêter ici votre lecture ;-).
Alors pourquoi l'écologie ? Parce que pour moi, l'être humain répond parfaitement à la définition « d'écosystème », c'est à dire « un ensemble formé par une communauté d'êtres vivants en interrelation avec son environnement. Les composants de l'écosystème développent un dense réseau de dépendances, d'échanges d'énergie, d'information et de matière permettant le maintien et le développement de la vie » (1). La notion d'écosystème regroupe toutes les échelles : « de la Terre au simple caillou en passant par la flaque d'eau, la prairie, la forêt, et les organismes vivants eux-mêmes. Chacun constitue un écosystème à part entière ».
Le microbiote intestinal
Si le microbiote intestinal constitue depuis ces dernières années un domaine de recherche en pleine croissance, sa découverte remonte déjà à plus d'un siècle. Elie Metchnikoff, par ailleurs connu pour ses travaux sur l'immunité, est l'auteur d'un texte fondateur sur l'écosystème digestif, intitulé : « Sur la flore du corps humain », le terme flore ayant été utilisé pour décrire ces micro-organismes que l'on croyait alors appartenir au règne végétal.
La flore intestinale ou microbiote intestinal est donc composé de 100 000 milliards de bactéries (1014 ! ). Celles-ci colonisent l’intestin dès la naissance. A la naissance, le tube digestif est stérile, le premier contact bactérien du nouveau né se fait avec les flores vaginale, fécale et cutanée de la mère (le type d'accouchement aura donc un impact sur la composition du microbiote). Avec l’alimentation (allaitement ou pas) ou avec l’air qui est respiré, de nombreuses bactéries colonisent la muqueuse intestinale. Cette flore pionnière va constituer progressivement la flore dominante, dans les quatre premières années de la vie. 99% de cette flore reste stable au cours de la vie. Cette flore dominante varie selon les individus et sa composition est spécifique pour un individu donné en fonction de son environnement, on va parler littéralement de « Carte d’identité flore », analogues à nos empreintes digitales. Elle est également constante pour un individu donné, sous réserve d'aléas introduits par la prise d’antibiotiques ou des expositions régulières à des biocides.
A cette flore dominante s'ajoute une flore intermédiaire ou sous-dominante, acquise par l'alimentation et qui évolue au cours du temps. Enfin, une flore dite de passage, plus faible et plus variable (qu'on retrouve notamment dans les probiotiques, voir plus loin), vient compléter de façon transitoire nos populations bactériennes digestives. Au total, on estime aujourd’hui que chaque individu adulte héberge en dominance dans son tube digestif un millier d’espèces bactériennes différentes (3), ce qui représente jusqu'à 2kg du poids du corps, et un total de plus de 3 millions de gènes (le génome humain en compte 20000) correspondant à un potentiel de 19000 fonctions, ce qui me fait dire que nous ne sommes pas totalement les « seuls maîtres à bord » ... Deux tiers environ des espèces dominantes observées dans le microbiote fécal d’un individu lui sont propres. Cependant des composantes récurrentes, retrouvées chez tous les individus, existent. Malgré cette diversité interindividuelle en termes de composition de bactéries, les fonctions portées par le microbiote sont globalement conservées entre les individus.
Trois phyla bactériens, Firmicutes, Bacteroidetes et Actinobacteria rassemblent la plus grande part des bactéries fécales dominantes.
Les rôles du microbiote intestinal
Comme dans tout écosystème chacune de ces espèces de micro-organismes a un impact sur son environnement – et bien sûr la réciproque est tout aussi vraie. J'ouvre ici une petite parenthèse sur la notion de « sol vivant » en agroécologie, en permaculture ; c'est bien la présence de micro-organismes vivants dans les couches supérieures du sol qui font la qualité d'une terre... Chez l'être humain cette microflore indispensable à la vie, assure des fonctions très diverses utiles à l'hôte, ce qui la fait considérer parfois comme un véritable organe. Parmi les grandes fonctions du microbiote, la fermentation des substrats disponibles au niveau du côlon, le rôle de barrière à la colonisation par les pathogènes, le développement et la maturation du système immunitaire intestinal et les interactions avec les cellules épithéliales ont des rôles essentiels pour le maintien de la santé de l’hôte (3).
*Fonction de protection et de barrière :
Le microbiote intestinal a un rôle protecteur non seulement vis-à-vis des bactéries pathogènes exogènes, mais aussi vis-à-vis de bactéries présentes dans l’intestin en faible quantité et potentiellement délétères si leur concentration augmente. Les mécanismes de l’effet de barrière sont de plusieurs ordres : a) compétition pour les nutriments entre les bactéries pathogènes et les bactéries commensales (= de la flore dominante) qui sont plus adaptées à l’écosystème intestinal ; b) induction de la production par les cellules épithéliales d’une grande partie des peptides antimicrobiens jouant un rôle majeur dans la défense contre les agents pathogènes ; c) les bactéries du microbiote produisent également des composés aux propriétés antibiotiques ; d) enfin, le microbiote stimule la production d'immunoglobulines sécrétoires (IgA) et renforce les jonctions serrées entre les cellules épithéliales.
*Fonctions métaboliques :
Plusieurs groupes de bactéries du microbiote interviennent dans le métabolisme des sucres (glucides fermentescibles issus des fruits, légumes et céréales), des gaz (issus de la fermentation des sucres, majoritairement l'hydrogène mais aussi du méthane), des protéines ainsi que des lipides. Parmi les métabolites secondaires dérivés de ces réactions on trouve des acides gras à chaînes courtes – utilisés comme source d'énergie par les cellules de l'hôte mais aussi par les bactéries du microbiote, et qui jouent également un rôle d'immunomodulation locale. Selon la nature des macronutriments métabolisés on va voir intervenir et se développer une flore de fermentation (consommation excessive de glucides) et une flore de putréfaction (protéines en excès, qui sont à l'origine de la production de composés toxiques comme les indoles ou l'ammoniac que le foie va devoir prendre en charge). D'où l'importance d'une alimentation équilibrée, variée, et sans surcharge !
Le microbiote est aussi impliqué dans la synthèse de la plupart des vitamines du groupe B, ainsi que de la vitamine K.
*Fonction immunitaire :
Le microbiote intervient dans le développement et la maturation du système immunitaire, notamment au niveau des structures lymphoïdes locales (les plaques de Peyer). Il permet le maintien de l'homéostasie intestinale.
*Un impact sur la personnalité et l'humeur :
Plus surprenant encore, le microbiote est considéré comme un acteur clé de l'axe intestin-cerveau. Il est établi que cerveau et intestin communiquent, à la fois par la voie nerveuse (via le nerf vague notamment, très rapide, quelques secondes) et par des molécules (hormones et autres) via la circulation sanguine (voie plus lente, de l'ordre de la minute). Mais des molécules produites par le microbiote lui-même se retrouvent aussi dans le sang et des récepteurs spécifiques de ces molécules bactériennes ont été identifiés au niveau du cerveau (4).
Les perturbations du microbiote intestinal
La composition d’un microbiote est caractérisée par sa diversité (nombre d’espèces différentes présentes chez un individu) et sa richesse (nombre total de microorganismes présents). Lorsque cette composition est perturbée (Fig. 3) (modification de l’un et/ou de l’autre de ces deux facteurs), l’équilibre est rompu et on parle alors de dysbiose. La dysbiose peut être associée à un certain nombre de maladies sans que l’on sache encore avec précision si ce déséquilibre bactérien est une cause ou une conséquence.
La prise de médicaments – et en particulier les antibiotiques, la consommation d'alcool et de tabac, le stress, un changement brutal d'environnement ou d'alimentation, des maladies et des infections sont autant de facteurs qui vont, directement ou indirectement, avoir des effets sur le microbiote intestinal.
Hyperperméabilité intestinale et dysbiose
Il existe en effet une profonde relation (symbiose) entre la flore et les muqueuses. La présence de germes pathogènes, un excès de fermentation (dysbiose de fermentation) ou de putréfaction (dysbiose de putréfaction) ont un effet délétère sur l’intégrité flore/muqueuses, qui a aussi un impact sur l’immunité locale et systémique. L’atteinte de la fonction de barrière intestinale entraîne :
• une suractivité et une fatigue du foie, avec production de radicaux libres et de toxiques déversés dans la bile,
• une hypersensibilité alimentaire,
• une hypersensibilité aux composants normaux de la flore intestinale.
• Elle est en relation avec de nombreuses pathologies auto-immunes (Sclérose En Plaque - SEP, Polyarthrite Rhumatoïde – PR, Maladies Inflammatoires Chroniques des Intestins – MICI (maladie de Crohn, Recto-Colite Ulcéro Hémorrhagique – RCUH, Maladie Cœliaque).
On parle souvent de syndrome de « l’intestin passoire » (ou Leaky Gut Syndrom – LGS) ou d’hyperperméabilité intestinale (HPI). Il s’agit en fait d’une « dysperméabilité ».
Figure 3 : effets d'un déséquilibre du microbiote intestinal
La candidose
C'est une dysbiose particulière liée au développement anormal d'une levure – Candida albicans – favorisé par des facteurs tels qu'une alimentation riche en sucres et céréales raffinées, la prise de contraceptifs oraux, d'antibiotiques, corticoïdes, chimiothérapie, ainsi que des situations particulières de la vie telles qu'une grossesse ou un choc psycho-affectif. Cette levure va produire différentes toxines, à l'origine de symptômes très divers : grande fatigue, suractivation du système immunitaire, désordres neurotoxiques (irritabilité, dépression, migraines), perturbations articulaires et musculaires.
De plus en plus de liens
Obésité (voir mon article sur ce sujet), maladie de Crohn, comportement de type névrotique, de plus en plus d'études établissent des liens entre l'état du microbiote (en particulier une diversité moindre des espèces qui le composent) et des pathologies ou des comportements.
Pour faire une nouvelle analogie avec l'écologie, dans une prairie dégradée suite à un traitement pesticide puis laissée à l'abandon ce sont d'abord « les mauvaises » herbes qui vont repousser (fig. 4).
Alors que faire ?
Avant tout, que faut-il « ne pas faire » ?! On ne le répétera jamais assez, mais il faut éviter au maximum voire supprimer tous les aliments transformés, raffinés, l'excès de viande (surtout rouge, et les charcuteries), l'alcool et les sucres en excès. Les aliments ultra-transformés comportent divers additifs, dont des agents émulsifiants (destinés à améliorer leurs textures et de prolonger leurs durées de vie) ; ce type d'additif peut modifier la composition et la localisation du microbiote intestinal (4), conduisant à une inflammation chronique à l’origine de syndrome métabolique (lié au diabète de type 2 et à l'obésité) et de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (Crohn, RCH) (4,5).
Et ensuite veiller à avoir une alimentation pourvoyeuse de composants bénéfiques pour le microbiote intestinal :
les aliments fermentés contenant des probiotiques,
les fibres,
les prébiotiques,
l’amidon résistant,
les fruits et légumes,
et l’allaitement maternel.
Figure 4 : Que faire pour rééquilibrer son microbiote ?
La consommation d’aliments traditionnellement fermentés (ex : la choucroute, le kéfir, le yaourt, le miso, les légumes lacto-fermentés) pourrait être liée à une réduction du risque de diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires, une amélioration de la digestibilité des aliments et/ou un renforcement de la synthèse ou l’absorption de vitamines. Ces aliments contenant des probiotiques peuvent également devenir un outil permettant d’enrichir le régime alimentaire en fibres bénéfiques pour la santé.
Les fibres et les prébiotiques servent de substrats de croissance pour les micro-organismes intestinaux et augmentent également la concentration des produits de la fermentation bactérienne, qui sont nécessaires à la fois pour la santé de l’intestin et pour la santé en général. Toutes les fibres alimentaires ne sont pas des prébiotiques, car elles n’entraînent pas toutes des modifications spécifiques du microbiote intestinal. Les fibres considérées comme prébiotiques sont des celles qui vont stimuler la croissance des micro-organismes de fermentation. Parmi ces fibres on retrouve des oligo-saccharides particuliers (FOS, GOS) et de l'inuline. Dans l’alimentation, ces fibres sont présentes dans l’artichaut, le topinambour (très très riche en inuline), la chicorée, dans les parties blanches de la peau des agrumes (5).
!! Mais attention ! Certains individus présentant notamment des déficiences enzymatiques sont contraints de limiter leur consommation d'aliments riches en fibres (régime dit « sans FODMAP, extrêmement contraignant).
L’amidon résistant est une forme de fibre alimentaire qui résiste à la digestion dans l’intestin grêle et atteint le côlon où il est métabolisé par le microbiote. On le retrouve dans les bananes vertes, les légumineuses, les céréales complètes.
En plus de leurs apports en vitamines, minéraux, anti-oxydants, les fruits et les légumes, riches en polyphénols et en fibres, contribuent à transformer le microbiote intestinal en un profil plus favorable à la santé en augmentant les bactéries telles que les lactobacilles et les bifidobactéries.
Enfin, les scientifiques estiment que l’allaitement fournit au nourrisson ce dont il a besoin pour se créer un microbiome intestinal plus sain pour la santé, notamment en raison de la richesse du lait maternel en oligosaccharides.
Ainsi tout est lié … D'où tout l'intérêt des prises en charge holistiques. La naturopathie, comme l'homéopathie, l'ayurveda, ou encore le yoga, aborde l'être humain dans sa globalité ; dans cette vision holistique le corps n'est pas dissocié de l'esprit et la dimension spirituelle est constitutive du vivant : l'équilibre et l'harmonie entre corps, esprit et âme définit la santé. Ce qui affecte l'une de ces dimensions entraîne des effets sur les autres. Par exemple, des changements dans notre environnement (relationnel, social, professionnel) peuvent avoir des répercussions sur notre état d'esprit, notre sommeil, qui elles-mêmes peuvent nous conduire à des choix alimentaires inappropriés, à du stress chronique, modifiant progressivement notre environnement intestinal, lequel modifiera à son tour les bactéries de notre microbiote, qui elles-mêmes seront à l'origine de variations métaboliques avec pour conséquences des dysfonctionnements physiologiques et psychiques. L'effet papillon ? Ou comment de micro perturbations entraînent de lourds effets.
Références
1) Définition wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Écosystème, dernière consultation le 8 février 2021
2) Illustrations : Biocodex Microbiota Institut
3) Les fondamentaux de la pathologie digestive, © CDU-HGE/Editions Elesevier-Masson -Octobre 2014
4) https://microbiome-foundation.org/axe-intestin-cerveau/ dernière consultation le 11 février 2021
5) Pascal Bossut, Focus sur la flore intestinale, 2017
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