Alimentation végétale : pourquoi et comment lui faire plus de place ?
Bien que végétarienne depuis plus de 25 ans je n'ai jamais cherché à convaincre qui que ce soit d'adopter ce type d'alimentation. Aujourd'hui, plusieurs instances scientifiques, nationales et internationales, invitent à laisser plus de place aux végétaux dans nos assiettes, à la fois pour des raisons de santé publique, et également pour rendre durables et respectueux de l'environnement nos systèmes de production alimentaire. Mais ça consiste en quoi une alimentation végétale ? Manger que des verdures ? Évidemment non :-) Ici je vous parle plus particulièrement des protéines d'origine végétale, de leurs intérêts ainsi que des différentes façons de les introduire dans votre alimentation.
L'industrie de la viande en quelques chiffres
Dans des sondages datés de 2022, un tiers des Français déclaraient essayer de manger moins de viande, cette démarche étant associée à l'idée de « manger plus sainement ». Les alternatives végétariennes et végétaliennes explosent dans les supermarchés et restaurants. Pourtant, la viande reste très présente dans l'alimentation quotidienne, notamment en raison de son ancrage dans la culture et dans les traditions françaises. La consommation de viande, renforcée par l’américanisation de la société durant les Trente Glorieuses, a été popularisée avec les chaînes de restauration rapide, et également par l’élevage intensif qui a permis de baisser fortement les prix. Les Français figurent aujourd’hui parmi les plus gros consommateurs de viande d’Europe, avec plus de 50 kg par personne et par an. Selon France Agri Mer, c'est même beaucoup plus lorsqu'on considère les données exprimées en « équivalent carcasse » : 84,4 kg. La consommation de viande a fortement augmenté jusqu'à la fin des années 90, atteignant un pic de 94 kg par habitant. Depuis, elle connaît une évolution à la baisse, avec une exception pour la volaille qui représente près d'un tiers de la consommation en 2020. Au niveau mondial, en revanche, la consommation carnée a plus que triplé depuis 1970. Le marché de la viande dépassait les 52 milliards de dollars en 2022, la France étant le quatrième marché le plus rémunérateur du monde.
Quels enjeux environnementaux ?
La production de viande, en croissance continue dans le monde, a un impact environnemental élevé, contribuant significativement au réchauffement climatique et à la déforestation. Les jeunes, davantage sensibilisés aux questions environnementales, consomment moins de viande que leurs aînés. Dans son sixième rapport, le GIEC cite trois motivations à réduire la consommation carnée : 1) les préoccupations individuelles de santé, 2) le souci du bien-être animal et 3) la prise de conscience environnementale.
Notre alimentation a des impacts très variables sur l’environnement selon les produits consommés. On estime ainsi qu’entre une alimentation « classique » et un régime moins carné, les émissions de gaz à effet de serre (GES) passent de 1,6 tonne à 1 tonne de CO2 équivalent par an et par habitant. Ceci est lié au fait que la production de viandes et laitages est plus émettrice de GES que celle des fruits et légumes. Toutefois, le niveau d’émissions varie selon le type de produits carnés : un kg de bœuf émet plus de GES qu’un kg de poulet, les ruminants produisant d’importantes quantités de méthane, gaz qui contribue fortement à l’effet de serre.
D’après l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) le secteur de l’élevage était à l’origine de 14,5 % des émissions mondiales de GES, dont 9,3 % pour les bovins. La FAO estime que 70 % des terres agricoles dans le monde sont utilisées pour les besoins de l’élevage, dont l’essentiel sur des espaces non cultivables (prairies, montagnes, steppes, savane). Une partie est issue de la déforestation que ce soit pour les espaces de pâturage ou la mise en place de cultures destinées à l’élevage.
« La demande et la production de produits alimentaires d’origine animale continuent à augmenter rapidement, à cause de la croissance de la population, de l’augmentation des revenus des ménages et le changement de style de vie et de l’alimentation. En même temps, les systèmes d’élevage ont un impact sur l’environnement, notamment sur la qualité de l’air, de l’eau, du sol, sur l’utilisation de la terre ainsi que sur la biodiversité. Pour assurer la croissance de ce secteur de l’élevage, il est urgent de considérer le caractère limité des ressources naturelles, de la nécessité de contribuer à long terme aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire, et de s'adapter au changement climatique. La FAO s'efforce de transformer et de rendre les systèmes d'élevage plus durables, productifs et résilients. »
Au-delà du réchauffement climatique, l’élevage est une source d’émissions de polluants atmosphériques (ammoniac, particules) et de pollution de l’eau (nitrates issus des effluents). Par ailleurs la production d’aliments pour les animaux mobilise aussi des ressources en eau. Elle peut également recourir aux pesticides, eux-mêmes à l’origine de pollutions de l’eau, du sol et de l’air.
Notons toutefois certains bénéfices environnementaux de l’élevage comme par exemple le rôle des prairies dans le stockage du carbone et le maintien de la biodiversité ou encore l’intérêt des déjections animales dans le renouvellement des nutriments des sols.
Alimentation durable et équilibre alimentaire
En 2022, le Conseil national de l’alimentation (CNA) retient parmi les actions à développer pour une alimentation durable, le rééquilibrage entre la consommation d’aliments d’origine végétale et celle de produits d’origine animale.
Le Programme national nutrition santé (PNNS 2019-2023) recommande également des régimes limitant la viande rouge (- de 500 g/semaine), les produits laitiers (2/jour) et la charcuterie (- de 150g /semaine) et augmentant la part de légumineuses et légumes secs (au moins 2 fois par semaine) et de fruits et légumes (5 par jour). Ces recommandations intègrent pour la première fois le développement durable et les modes de production en conseillant de privilégier des aliments de saison, provenant de producteurs locaux et si possible « bio ». Ces recommandations nutritionnelles mettent en avant la prévention de maladies chroniques comme le diabète, l’obésité, les maladies cardio-vasculaires et certains cancers tout en réduisant les impacts environnementaux liés à l’alimentation. Je souligne cependant que malgré l'orientation de ces recommandations vers plus de végétal dans nos assiettes, les quantités indiquées pour les produits carnés restent très élevées : 500 g de viande rouge par semaine, sachant qu'une portion raisonnable se situe autour des 100 – 120g par jour, cela fait tout de même manger de la viande rouge 4 fois dans la semaine ! Si en plus on rajoute de la charcuterie, cela revient à manger de la viande presque tous les jours !!
Des études relayées par l’Onav (Observatoire national de l’alimentation végétale) permettent d'y voir plus clair sur l'alimentation végétale, et plus particulièrement sur les apports en protéines qui font encore souvent l'objet de débats. Je vous propose de développer différents points pour (re)mettre à jour vos connaissances et peut-être revoir quelques idées reçues.
Que sont les protéines ?
Les protéines font partie des macronutriments au même titre que les lipides et les glucides ils doivent être apportés par l'alimentation en quantités chiffrées en grammes (alors que pour les micronutriments on sera sur des mg voire µg). Une protéine est un assemblage d’acides aminés. Ces derniers ont de nombreuses fonctions dans le corps au-delà du fait de constituer les protéines. Les fonctions des protéines sont elles aussi multiples. Effectivement, les acides aminés et les protéines constituent l'essentiel de la masse du corps humain après l'eau. Certains acides aminés peuvent par exemple être mobilisés au niveau du foie pour synthétiser du carburant : quand le corps vient à manquer de carburant (lors d'un jeûne par exemple) des acides aminés tels que la phénylalanine, l'isoleucine, le tryptophane ou encore la tyrosine sont à la fois glucoformateur (synthèse de glucose) et cétoformateur (synthèse de corps cétoniques). Certains acides aminés peuvent aussi être précurseurs de neurotransmetteurs (sérotonine, GABA), et leur conformation jouent un rôle essentiel au niveau immunitaire (antigènes). Enzymes, transporteurs, anticorps sont autant de rôles fonctionnels portés par des protéines, et sans elles notre masse musculaire n'existerait pas – et nous non plus (pas de muscle, pas de cœur …).
Il n’existe pas de protéines indispensables mais des acides aminés indispensables (ou « essentiels »). Ces acides aminés doivent être apportés par l’alimentation car notre corps ne sait pas les synthétiser. Le risque d’une carence en acide aminé repose, en France, uniquement sur la lysine. On va parler ici de la notion d'acide aminé dit limitant. Imaginons une PME qui conçoit, produit et commercialise un produit. Pour être opérationnelle et rentable l'entreprise doit avoir dans ses effectifs des ingénieurs, des acheteurs, techniciens, commerciaux, administratifs ….en proportion adaptée pour que le produit voit le jour et finisse par être vendu. Si il n'y a pas d'ingénieurs pour concevoir ou pas de solution pour vendre, le projet peut vite être compromis. Un acide aminé limitant c'est un acide aminé faiblement représenté dans une denrée que l'on consomme. Si cette denrée est notre seule source de protéines / d'acides aminés, cela peut être à l'origine de carences. C'est une des raisons pour lesquelles il vaut mieux privilégier une alimentation variée le plus régulièrement possible.
Il existe une synthèse d’acides aminés par le microbiote
Notre microbiote intestinal est influencé par de nombreux facteurs dont notre alimentation. Chez les personnes végétaliennes le microbiote intestinal présente moins de bactéries pathogènes (ex. Enterobacteriacea), et plus d’espèces protectrices (ex. F. Prausnitzii). De même, les bactéries de type Bacteroides sont plus adaptées à une diète riche en protéines et graisse animales tandis que l’espèce Prevotella prédomine dans une alimentation riche en glucides ou végétarienne. Quand on sait les rôles fonctionnels du microbiote intestinal, on peut légitimement se dire que des microbiotes différents rempliront des rôles différemment.
Les protéines végétales sont de bonne qualité
Leur qualité est quasi identique à celle des protéines de source animale : complètes (en prenant soin de varier ses apports) et digestes (en prenant soin de les préparer correctement). Historiquement, la qualité des protéines végétales a été sous-évaluée. Voire même dépréciée, avec de vieilles controverses au sujet du caractère potentiellement incomplet des protéines végétales. Initialement les observations ont été faites chez le rat, puis on s'est rendu compte que les évaluations chez l'humain étaient plus complexes, et que les extrapolations des résultats obtenus chez le rat n'étaient pas fiables. Or il est aujourd'hui bien établi que les protéines de source végétale sont assez qualitatives (pour celles issues de céréales), voire quasi aussi complètes* (légumineuses, dont soja et lupin) que celles apportées par des sources animales. De plus on sait aussi à présent que tous les acides aminés n’ont pas à être disponibles lors d’un seul repas (la fameuse association céréales + légumineuses) pour pouvoir être utilisés de manière optimale, mais peuvent être apportés au cours d'une même journée voire sur plusieurs jours. Cela relativise d’autant la perception de « protéines complètes » c'est-à-dire une protéine contenant tous les acides aminés en quantité suffisante pour permettre une utilisation optimale de tous les AA. Ainsi la vision des acides aminés fournis par les protéines reposant sur un aliment isolé peut être intéressante intellectuellement, mais n’a pas d’aspect pratique car les apports protéiques dans un repas, et encore plus sur plusieurs repas consécutifs, sont multiples, et le terme de protéine complète, ou incomplète, n’a pas de sens quand on parle d’alimentation. En effet, les sources de protéines sont multiples, tant à l’échelle de chaque prise alimentaire qu’à l’échelle de la journée. Et il existe une réserve d’acide aminé dans le corps permettant que chaque repas n’ait pas à fournir tous les acides aminés indispensables en quantité adéquate.
Plus la quantité de protéines ingérées augmente, moins leur profil en acides aminés constitue un critère pertinent. Mais il est inutile de surconsommer des protéines (voir plus loin la question des quantités), car la nature étant bien faite le corps ne va utiliser que ce dont il a réellement besoin, l'excédent est soit éliminé (travail des reins ++), soit stocké. Par ailleurs, plusieurs études suggèrent que le niveau de végétalisation de l’alimentation pourrait conduire à des accommodations métaboliques modifiant les besoins en acides aminés. Dans le contexte alimentaire français, où les apports en protéines sont suffisamment élevés et variés, la faible différence entre les protéines d’origine végétale et animale en termes de biodisponibilité et de teneur en acide aminé n’est pas pertinente pour éclairer le débat sur la qualité nutritionnelle des protéines. De manière plus globale, les protéines dites de qualités sont celles orientant vers des alimentations meilleures à la fois pour la santé et l’environnement. Ce changement de paradigme conduit à considérer que les protéines d’origine végétale sont, en moyenne, de meilleure qualité que les protéines d’origine animale.
Quelles quantités ?
Pour un adulte en bonne santé les besoins en protéines sont calculés en fonction de son poids corporel. Après 50 ans de débats, les institutions communiquent sur une valeur moyenne de 0,66 g/kg de poids corporel/jour pour satisfaire les besoins de 50 % de la population. Pour satisfaire les besoins de 97,5 % de la population, ces besoins sont de 0,83 g/kgpc/j. (Les valeurs moyennes sont en fait des valeurs médianes, couvrant les besoins de la moitié de la population, alors que les valeurs dites de sûreté permettent de couvrir les besoins de 97,5 % d’une population). Il est possible que la valeur optimale de consommation soit autour de 1g de protéine/kgpc/j. Il ne semble pas y avoir de limite supérieure de sécurité franche bien qu’il ne semble pas y avoir de bénéfice à consommer plus de 1,6 g de protéine/kgpc/j. Au-delà, cela peut poser des problèmes de santé à long terme. Les besoins peuvent être légèrement supérieurs pour les personnes âgées, les personnes enceintes et les sportifs de haut niveau. Les protéines doivent représenter 10 à 20 % de l’apport énergétique journalier total (valeurs reprises dans le Eat-Lancet au niveau international).
Précision importante, ces pourcentages sont exprimés en « protéines pures », ce qui nécessite de transposer ces chiffres en tenant compte de la proportion de protéines pures contenues dans chaque aliment consommé. La population française n’est pas à risque de carence en protéines. Nous consommons actuellement, tous régimes confondus, plus de protéines que nécessaire. Compte tenu de la plus grande densité protéique des produits d'origine animale, la densité protéique globale des rations végétales est inférieure à celle des rations incluant des protéines d'origine animale : ce différentiel se traduit par un apport calorique accru de + 9 % à + 29 %, respectivement pour une ration de 50 g et 100 g de protéine. En conséquence, il convient d'être attentif à cette caractéristique des alimentations végétales afin de ne pas dépasser ses besoins énergétiques.
Comment passer à une alimentation plus végétale ?
L’alimentation végétale n’est pas simplement un retrait des produits animaux mais une modification plus profonde de l’alimentation. On peut végétaliser à 100 % notre alimentation, sans risque de manquer de lysine (sous représenté dans les céréales), à condition d’avoir une alimentation variée en termes de sources de protéines (légumineuses (pois, soja, lupin, haricots, lentilles), noix en petites quantités (pistaches, noix de cajou, noix du Brésil, noix de Grenoble, amandes, noisettes, graines (tournesol, sésame, courge, etc ...)), céréales complètes (riz, sarrasin, petit épeautre, amaranthe, quinoa, blé, ...), algues, levure de bière, pollen, et aussi les légumes feuilles (salades, épinards, choux, brocoli, ...) ainsi que certains fruits (dont abricot et banane).
Cette transition se fera d'autant mieux qu'elle sera progressive, et il est tout à fait envisageable d'augmenter ses quantités d'aliments végétaux et de garder quelques produits d'origine animale de qualité : des œufs bio, de la viande issue d'animaux élevés majoritairement à l'herbe, des poissons gras issus de pêche durable (label MSC) ou encore des produits laitiers de qualité (fromages bio, plutôt de chèvre ou de brebis). Il est alors simple de manger sainement, équilibré, avec des apports énergétiques suffisants sans pour autant devoir avaler de grandes quantités de végétaux.
Selon vos besoins en protéines (évalués en fonction de votre poids, votre âge, votre activité quotidienne et votre capacité digestive), vous pourrez composer vos menus avec 2 à 4 portions (100g) de légumineuses + 2 à 4 portions (100g) de céréales complètes + 1 à 3 portions (15g) de fruits à coque + 4 à 6 portions (100g) de légumes + 2 portions (150g) de fruits + 1 à 3 cuillères d'huile de qualité. Commencez par exemple par introduire 1 ou 2 repas végétaliens dans la semaine et observez comment votre corps réagit.
Pour profiter au mieux de cette alimentation végétale il vous faudra modifier un peu vos habitudes de cuisine, avec le trempage des grains (céréales, oléagineux et légumineuses), la germination ou encore la fermentation, toutes ces méthodes permettant d'optimiser la valeur nutritionnelle et la digestibilité de ces aliments. En effet, les végétaux développent diverses stratégies pour se protéger – que l'on appelle des anti-nutriments – qui peuvent engendrer certaines perturbations, au niveau digestif notamment. Parmi ces anti-nutriments on trouve des lectines, des tanins, de l'acide phytique, de l'oxalate ou encore des molécules goîtrogènes. Pas de panique, les méthodes simples de préparation citées ci-dessus permettent de les neutraliser en grande partie !
Je serai heureuse de vous accompagner dans vos transitions alimentaires et/ou découvrir des façons de cuisiner les protéines végétales. N'hésitez pas à prendre rendez-vous ou à vous inscrire aux ateliers de cuisine !
Sources :
statista.com
notre-environnement.gouv
cna-alimentation.fr
onav.fr dont https://onav.fr/wp-content/uploads/2022/06/Position-de-lONAV-relative-a-lappreciation-de-la-qualite-nutritionnelle-des-proteines-vegetales.pdf)
Eat-Lancet
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