La valériane
Un excellent moyen de rencontrer et d'apprendre à reconnaître les plantes est d'observer celles qui poussent naturellement autour de chez vous. Si vous disposez d'un jardin, ou si vous habitez à proximité d'un parc, vous pourrez déjà découvrir un très grand nombre de plantes comestibles et/ou aux propriétés médicinales. Si vous avez un bout de terrain, laissez-vous le temps d'observer ce qui y pousse spontanément, et "jardinez sélectivement", vous enrichirez vos connaissances en même temps que votre environnement. Je procède ainsi depuis quelques années, et j'apprécie de laisser s'épanouir (là où elles se sont installées, ou bien en les déplaçant à certains endroits de mon jardin) : ortie, pissenlit, alliaire, gaillet, géranium Robert, chélidoine, lierre terrestre, pimprenelle, achilée millefeuille, bleuet, menthe des près, bourrache, onagre, rose trémière, silène, lampsane, berce ... fleurissent mon jardin sauvage ! Et dans ce processus j'ai la joie cette année de voir fleurir un pied de valériane ! Alors je vous présente cette nouvelle voisine.
Description
Les valérianes appartiennent à la famille botanique des Valerianaceae (dans laquelle on va retrouver la mâche, très connue au rayon salade, et la centranthe aux propriétés similaires à celles de la valériane). C'est une plante vivace (qui va donc refleurir chaque année), assez haute (jusqu'à 1,50m), parfois cultivée comme plante d'ornement. Il existe plusieurs espèces du genre Valeriana, mais celle dont il sera question ici est la Valeriana officinalis. A priori pas de confusion possible avec les autres espèces du genre tant ses feuilles sont caractéristiques : assez grandes, opposées et dentées.
Au printemps (fin avril, début mai), les feuilles formaient un petit buisson que j'ai laissé tranquille jusqu'à voir apparaître une grande tige bien droite au bout de laquelle sont apparues des boutons floraux rose en bouquet (corymbes) qui sont en train d'éclore en ce moment (fin mai). Leur parfum est assez soutenu. Dans d'autres endroits les fleurs peuvent aussi être blanches.
On l'appelle aussi l'herbe aux chats (les chats sont envoûtés par son odeur !), l'herbe de St Georges ou encore l'herbe de la meurtrie.
De multiples composants ont été identifiés dans la valériane, et sont étudiés pour mieux comprendre les propriétés sédatives de cette plante (voir les usages) :
- des molécules de la famille des iridoides appelés valepotriates (valtrate, isovaltrate, didrovaltrate et acevaltrate),
- des molécules aromatiques que l'on retrouve dans certaines huiles essentielles, comme des monoterpènes (borneol, bornyl acetate) et des sesquiterpenes (valerenal, acide valérénique),
- des acides organiques (acide valerique / isovalerique),
- des lignanes,
- des flavonoids,
- et de faibles quantités de γ-aminobutyric acid (GABA).
Usages
C'est la racine de la plante qu'on utilise ici. La valériane peut sembler complexe à utiliser, et cela pour plusieurs raisons : elle est surtout utilisée pour ses propriétés sédatives, mais elle est aussi décrite comme ayant des effets sur la sphère musculaire, sur la digestion, ou encore la gestion de douleurs.
De plus, parfois elle calme, parfois elle excite - de quoi la qualifier de schizophrène par Christophe Bernard (herboriste, formateur).
Propriétés et applications de la valériane
sédative, anxiolytique : insomnie, anxiété, stress, épilepsie
anti-spasmodique : agit sur les muscles squelettiques et lisses : bronches, intestins, vessie, utérus, colopathie fonctionnelle
analgésique : insomnie liée à des douleurs
C'est une plante que je trouve particulièrement intéressante parce qu'elle illustre bien, à mon humble avis, les limites d'une approche basique (= "plante du sommeil >> à conseiller en cas d'insomnie) ou purement scientifique. Je m'explique. La démarche scientifique appliquée à l'usage des plantes va pour une bonne part se focaliser sur l'identification d'un ou plusieurs principes actifs, dans l'objectif de pouvoir isoler, synthétiser, puis produire ce(s) principe(s) actif(s) en vue de commercialiser des médicaments. Dans le cas de la valériane, les scientifiques ont isolé plusieurs composants comme cités plus haut parmi lesquels les valépotriates - qui s'avèrent être particulièrement instables en présence d'eau, conduisant à la formation d'autres composés, les baldrinals, qui in vitro se sont révélés être mutagènes et cytotoxiques, ce qui a pu inciter à écarter d'emblée l'usage de cette plante. Mais encore faudrait-il pouvoir comparer les effets de la racine fraîche de valériane avec ces molécules, on retrouve ici la notion de dose (quelle est la quantité de valépotriates dans une racine de valériane ? quelles sont les concentrations de valépotriates utilisées pour montrer leurs effets cytotoxiques ?) et comparer avec le totum de la plante (qui contient un ensemble de molécules associées dans un certain contexte, et pas un unique principe moléculaire isolé de son environnement naturel). Une revue récente de plusieurs études cliniques indique que les effets les plus stables de la valériane sont observés lorsque l'ensemble de la racine est utilisé (Shinjyo N, 2020). De plus, les valpotriates ont longtemps été considérés comme le support de l’activité anxiolytique et sédative de la valériane, mais ce sont d’autres constituants (dont les sesquiterpènes) qui actuellement sont considérés comme responsables.
Autre particularité de la valériane, ses effets dépendent aussi du mode de préparation de la plante : le séchage préalable des racines serait responsable d'une réaction d'hyperexcitation et d'instabilité émotionnelle en cas de consommation sur le long terme. Les racines peuvent se prendre en infusion (elles sont suffisamment petites pour ne pas avoir recours à la décoction, donc pas besoin de faire bouillir) ou en alcoolature - avec de meilleurs effets semble t-il à partir des racines fraîches et un fort taux d'alcool.
Enfin, et c'est là le point le plus important à mon sens, la valériane cible plutôt des profils "froids", c'est une plante chaude qui pourra accompagner de préférence les personnes frêles, qui manquent de vigueur et qui ont une mauvaise circulation sanguine surtout au niveau cérébral. A contrario, chez les personnes actives voire hyperactives, sportives, chaudes, la valériane aura un effet excitant avec des nuits agitées, des cauchemars et du stress.
Le ciblage cérébral est à rapprocher d'une possible action sur les récepteurs GABA. Le GABA est un inhibiteur du système nerveux central, chez l'adulte il empêche l'excitation prolongée des neurones, ce qui fait que ses récepteurs sont des cibles pharmacologiques pour les molécules de la familles des benzodiazépines, utilisées pour leurs propriétés anxiolytiques, sédatives, myo-relaxantes. Petite parenthèse, le récepteur GABA possède une certaine affinité pour l'éthanol. Lorsque qu'on boit de l'alcool, l'éthanol passe dans le sang et se retrouve dans le cerveau et va se lier au récepteur du GABA, ce qui a pour effet d'augmenter son potentiel de réponse au GABA; le GABA étant un neurotransmetteur inhibiteur, une augmentation de son effet risque entraîne une certaine altération des fonctions cérébrales, comme un temps réflexe augmenté et des facultés motrices et intellectuelles diminuées.
Mais, des études ont mis en évidence des effets de la valériane sur d'autres voies de signalisation comme celles de la sérotonine et de l'adénosine. Ce qui au passage donne encore un aperçu de la difficulté à appréhender précisément un système complexe tel que l'est un organisme humain. Mettre en lumière et comprendre un mécanisme d'action de façon isolée n'est qu'une étape, car la majorité du vivant met en jeu des tas de mécanismes d'action, qui en plus sont interdépendants ...
Autres caractéristiques connues
La valériane peut induire des palpitations chez les personnes ayant un cœur déjà bien actif. Elle ralentit et renforce la qualité des pulsations cardiaques chez la personne déficiente qui a d'habitude un pouls plutôt rapide et profond ;
Au niveau pulmonaire elle peut induire une hyperventilation chez les personnes ayant des poumons déjà bien actifs, chez les sportifs par exemple, et en particulier pendant le sommeil ; attention en cas de difficultés respiratoires (tabac, BPCO...)
Au niveau cérébral, les effets psychotropes de la valériane sont associés à un risque d'accoutumance, voire de toxicomanie.
Important : Compte tenu du profil de cette plante, la valériane n'est pas une plante vers laquelle se tourner en première instance si vous avez des difficultés de sommeil. Il faudra en tout premier lieu évaluer les causes possibles et 1)(re)créer les conditions favorables à un sommeil de qualité (par l'hygiène de vie) et 2) faire appel à des plantes plus douces (camomille, passiflore, tilleul, ...). N'hésitez pas à demander conseils.
Éthique - Rappel
Si vous vous lancez dans la cueillette de plantes sauvages, je vous invite à le faire avec humilité et surtout dans les règles de l'art en faisant attention non seulement à vous (en prenant connaissance des risques de maladies possibles et les précautions à prendre) mais aussi au biotope que vous fréquenterez : les plantes ne sont pas des générations spontanées, elles ne poussent pas non plus uniquement pour nous servir.
Enfin, méfiez-vous de l'auto-médication. Utiliser les plantes (et d'autres approches naturelles) ne signifie pas s'abstenir de toute consultation médicale. Et pour les posologies, les formulations, demandez conseil à un praticien avisé (herbaliste, naturopathe, phytothérapeute,)
Sources :
http://www.wikiphyto.org
https://www.altheaprovence.com
https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Valépotriate
La phytothérapie, Dr Jean Valnet
Shinjyo N, Waddell G, Green J. Valerian Root in Treating Sleep Problems and Associated Disorders-A Systematic Review and Meta-Analysis. J Evid Based Integr Med. 2020 Jan-Dec;25:2515690X20967323. doi: 10.1177/2515690X20967323. PMID: 33086877; PMCID: PMC7585905.
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