L'expérience de solo en nature sauvage : une voie de pleine santé et de croissance personnelle, et des pistes pour changer le monde
J'ai déjà évoqué l'importance du silence dans les approches thérapeutiques des peuples racines, et la science reconnaît maintenant le silence comme nécessaire dans le développement sain de l'être humain et de son bien-être. Le sujet que je vous propose ici est consacré à une forme particulière de silence (que j'ai longtemps pratiquée - et pratique encore) : l'expérience en solo d'immersion dans la nature. De nombreuses études et témoignages décrivent ce type d'expérience et sa richesse en termes de bénéfices pour les individus. J'y vois aussi un terreau pour réfléchir aux évolutions de notre société et de nos organisations.
Très présentes dans les sociétés traditionnelles, ces expériences de la solitude et du silence au sein d'une nature sauvage sont autant d'opportunités pour contacter des sentiments favorisant de meilleures relations à soi, aux autres et à notre environnement.
Nobody can counsel and help you, nobody. There is only one single way.
Go into yourself. Rainer Maria Rilke
L'expérience d'immersion dans la nature en solo : des traditions ancestrales à nos jours
Être seul dans la nature est une forme ancienne d'initiation, utilisée par les peuples premiers du monde entier. Dans ces expériences en solo dans la nature sauvage les individus recherchaient la guérison, le rajeunissement, la connaissance de soi et poursuivaient une quête spirituelle. Rappelons ici que Moïse, Jésus, Bouddha et Gandhi sont des exemples de grands leaders qui passaient régulièrement du temps seuls dans la nature, ce qui était associé à leur transformation personnelle et à leur illumination. La quête de vision a été et est encore utilisée comme rite de passage dans de nombreuses cultures : durant cette cérémonie l'individu part seul dans la nature sauvage, pour une durée indéterminée, pour y trouver ses propres forces et sa mission de vie. Traditionnellement une telle quête commence par une purification du corps, des pensées et de l'âme, et comprend trois temps : la séparation, la transition puis l'incorporation. A son retour l'individu initié est célébré et peut partager sa vision ; un nouveau titre ou nouveau rôle au sein de sa communauté peut alors lui être attribué.
"Dans la tradition Lakota, la quête de vision est "toujours encadrée par un homme ou une femme-médecine, et commence par une préparation qui dure un an. Le jour J, quelque soit le temps, elle consiste à s'isoler dans la nature, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, jusqu'à quatre, sans eau ni nourriture soutenu en prière et en présence à distance par des accompagnants choisis. Ces privations et le recueillement permettent d'entrer en état de conscience élargie, et d'accueillir consciemment un son, une rencontre animale, une vision ... Les alliés extérieurs et les sentinelles intérieures viennent souffler au quêteur la réponse avec laquelle il est venu. En général, dans la voie lakota, cette quête est l'outil utilisé comme rite de passage, pour connaître son talent, sa voie, sa médecine personnelle. Mais elle peut aussi être vécue plusieurs fois dans sa vie, ce qui est le cas la plupart du temps." extrait de Ce que les peuples racines ont à nous dire, Frederika Van Ingen (2020).
La littérature (scientifique ainsi que les récits d'aventure) témoigne du retour de ces pratiques, sous des formes très diversifiées, et dont les objectifs et la portée ne sont pas toujours associés à une initiation a priori. Des alpinistes s'engageant en solo (comme Christophe Moulin) à la conquête des parois les plus difficiles, aux aventuriers partis faire le tour du monde en solitaire à la voile, à pied, en vélo, ou en parapente, les solistes des temps modernes, mettent en avant des valeurs comme le dépassement de soi, la rencontre des autres, la volonté de vivre pleinement ... D'autres y associent des recherches scientifiques, comme Christian Clot, qui après avoir réalisé seul plusieurs expéditions dans des environnements extrêmes, a fondé un institut dédié à la compréhension des capacités humaines d’adaptation face aux changements (un thème central en naturopathie).
Cette démarche ancestrale est également revisitée de nos jours avec des propositions structurées par des professionnels qui s'assurent de la sécurité des participants, guident et facilitent l'expérience. On trouve ainsi des propositions d'expériences en solo en milieu sauvage dans les programmes de plein air et d'aventure pour les jeunes du monde entier, tels que Outward Bound et la National Outdoor Leadership School aux Etats-Unis. The School of Lost Borders, fondée en 1984 en Californie, a aidé des milliers de personnes à vivre des expériences en solo dans la nature, notamment des quêtes de vision. Leurs propositions s'appuient toujours sur les trois phases de base du rite de passage traditionnel, mais alors que dans les cultures indigènes l'individu traversait ces phases seul, ces étapes sont aujourd'hui facilitées par des guides expérimentés. Ces programmes impliquent généralement plusieurs jours de préparation au cours desquels les participants passent du temps ensemble et sont préparés selon trois temps :
- la première étape concerne la préparation du solo, qui comprend des discussions et des échanges dans le groupe sur les questions de sécurité, les défis physiques, la flore et la faune locales, et les procédures d'urgence. Une partie considérable de la préparation est également consacrée aux défis psychologiques potentiels, aux peurs personnelles et à la clarification de l'intention personnelle du participant. Cette procédure repose sur l'hypothèse que plus les participants sont conscients des sentiments qui peuvent survenir dans le cadre de l'expérience et plus ils sont connectés à leur intention personnelle, plus ils peuvent apprendre de l'expérience.
- la deuxième étape est l'initiation, qui implique généralement trois jours de solitude et de jeûne dans la nature. Pour cette phase, les participants sont encouragés à visualiser le but de leur vie (leur vision) et à noter consciemment ce qui se termine, pour ainsi prendre un nouveau départ.
- l'incorporation est la dernière étape : l'individu réintègre le groupe et y partage son expérience. Cette phase d'incorporation se concentre sur la façon dont l'expérience en solo et les connaissances acquises peuvent être appliquées dans la vie du participant pour un changement positif et une croissance profonde.
Les ressentis durant la phase d'initiation sont très variables : certains participants racontent des expériences de connexion et de conversation avec la nature, les éléments et les animaux ; d'autres éprouvent l'ennui, la faim et la solitude ; certains éprouvent un amour et une joie profonds; et pour beaucoup, c'est le moment d'évaluer leurs relations et leur vie, le moment de grandir. En francophonie, de tels programmes sont proposés par l'Académie initiatique Aurore, initiative de Pierre-Yves Albrecht (en Suisse, France et Belgique). Pour Pierre-Yves Albrecht, docteur en ethnologie, philosophe, écrivain et fondateur de centres thérapeutiques pour des jeunes en difficultés, les occidentaux sont devenus "anormaux" en ce sens où ils ont perdu ces pratiques ancestrales d'initiation au travers des rites de passage. Son constat est que tout individu, pour évoluer et donner du sens à sa vie, a besoin de passer par des étapes initiatiques qui l’aident à structurer son cheminement personnel, et à grandir. Selon lui, nous, Occidentaux, "nous sommes une société d'enfants".
Lia Naor & Ofra Mayseless, chercheurs à l'Université d'Haifa, ont publié en 2020 une revue des témoignages et des travaux menés sur différents types d'expériences de nature sauvage en solo : immersion en pleine nature dans le cadre de programmes d'accompagnement, voyages en canoé ou à pieds, et des cérémonies modernes de quête de vision.
Citons l'exemple de ces quatre américains expérimentés, âgés de 48 à 68 ans qui ont été interviewés sur leurs séjours en canoé (chacun ayant vécu au moins 4 séjours en solo d'une durée d'au moins deux semaines). De ces échanges sont ressortis 3 principaux éléments : a) être seul et en silence leur a permis d'avoir la tranquillité, la paix et le temps nécessaire pour réfléchir sur eux-mêmes; b) les exigences physiques, mentales et émotionnelles du voyage en canoe ont permis aux pagayeurs de devenir plus conscients d'eux-mêmes par rapport à l'environnement naturel et ont insufflé un sentiment de réalisation de soi; et c) le fait d'avoir un emploi du temps non programmé, dépourvu de perturbations et de jugement d'autrui, a permis d'observer et d'explorer le soi avec une plus grande liberté d'expression. Les chercheurs ont conclu que cette expérience solo en milieu sauvage est un "environnement puissant permettant aux individus de prendre conscience de leurs propres potentiels, capacités et talents et que la solitude encourage les individus à explorer, découvrir et actualiser leurs potentiels". Ces observations et d'autres soulignent l'apport d'une forme unique de calme social, mental et environnemental, propice à l'introspection et à la clarté mentale, vecteurs de croissance personnelle.
Une autre étude, portant sur l'expérience de 12 femmes ayant parcouru seules l'Appalachian trail (un trek de 2000 miles dans les Appalaches), évoque une transformation psychospirituelle. Cette transformation s'appuie notamment sur l'expérience d'un sentiment d'émerveillement, de compétence, la confiance, le sentiment d'être pleinement présent dans l'instant, de devenir plus authentique et le désir de rendre service. Le temps passé seules et en silence leur a permis de faire l'expérience de l'acceptation et de l'interdépendance dans un environnement naturel vaste, intemporel et en constante évolution. Dans ces conditions, les participantes ont développé une connexion nouvelle et intime avec soi, aux autres et à la nature qui a conduit à ce qu'elles ont décrit comme la dissolution de leur ancienne identité et le développement d'une identité plus connectée et authentique. Des observations similaires ont conclu que la transformation repose sur (a) l'expérience de liens significatifs avec la nature par le biais d'interactions ou de relations, décrites comme un sentiment de faire partie de la nature et d'être guidé par elle, inspirant l'idée de but, (b) un changement dans la conscience, décrit comme un passage d'un état de questionnement à un état de compréhension, et (c) l'acceptation de soi, impliquant la reconnaissance de parties de soi jusque-là non reconnues. Ainsi, l'expérience de solo dans la nature sauvage favorise une transformation personnelle qui inclut le fait de se sentir plus authentique ou entier, de découvrir un but dans la vie et de développer sa capacité à embrasser la vie dans toute sa plénitude. La clé du bonheur vous ne trouvez pas ?
Le suivi des étudiants ayant participé aux programmes de l'Outward Bound a permis de rassembler des données sur un plus grand nombre d'individus. Pendant près de deux décennies, des chercheurs ont examiné les expériences des participants aux programmes de solo dans la nature en utilisant plusieurs méthodes (enquêtes écrites, entretiens avec des groupes de discussion, entretiens individuels et notes de terrain) ; dans certains cas, on a demandé aux participants de réfléchir à la manière dont le solo les avait affectés un an après le programme. Les 335 étudiants de première année qui ont participé à des solos de différentes durées (de vingt-quatre à soixante heures) dans le cadre de programmes de dix-huit jours en pleine nature ont décrit le solo comme l'aspect le plus significatif de l'expérience en pleine nature. Trois préalables à l'émergence d'une croissance personnelle ont été identifiés : a) la réceptivité des participants ; La plupart des élèves ont documenté un sentiment d'excitation en entrant dans le solo, et la plupart des élèves ont choisi le mot solitude lorsqu'on leur a demandé d'identifier la caractéristique la plus marquante. Pris ensemble, ces facteurs suggèrent une réceptivité à l'entrée et pendant l'expérience, ce qui contribue souvent à la croissance personnelle. b) un niveau de stress optimal induit par les défis à relever (solitude, jeûne, ennui. c) un changement et une harmonisation progressive; le solo en pleine nature a été l'occasion pour les participants de prendre conscience des dimensions spirituelles et/ou religieuses de la vie et de clarifier, de s'évaluer et se réorienter en se fixant des objectifs pour l'avenir. En réfléchissant sur eux-mêmes sur leurs rapports à la nature, aux autres et, dans certains cas, à Dieu, les participants sont devenus plus attentifs aux questions importantes de leur vie et du monde dont ils faisaient partie. Ces résultats mettent en lumière les bénéfices apportés par une expérience de solo en pleine nature, tout en soulignant l'importance de l'accompagnement des facilitateurs dans cette démarche.
Silence, solitude et nature : les vecteurs d'une transformation personnelle
Si elles peuvent revêtir des formats divers, ces expériences ont en commun 3 composantes : le silence, la solitude et le contact avec un milieu non artificialisé par l'Homme. L'interaction unique entre ces trois composantes fondamentales contribue à la croissance personnelle, à la découverte de soi et, dans certains cas, transformation personnelle.
Dans notre monde moderne, le silence c'est d'abord échapper aux bruits incessants des villes, aux stimuli omniprésents, aux tentations de distractions. Cette hyper-agitation de la vie moderne associe souvent au silence une image austère, voire angoissante. En réalité, pour KankyoTannier, nonne bouddhiste, "ce qui est déstabilisant pour les plus sensibles d’entre nous, c’est plutôt de toujours courir derrière un idéal, de relever des défis sans cesse plus exigeants dans sa vie professionnelle ou personnelle, dans l’espoir de se réaliser selon les critères du moment". Le silence c'est d'abord s'échapper quelques instants du tourbillon incessant de la modernité : "nous vivons dans une société de la distraction. Être là simplement à ne rien faire est devenu impensable. (...) s’arrêter un instant, c’est prendre le risque de se reconnecter à nous-mêmes et d’être confrontés à une sensation de manque, un malaise, ce vide existentiel auquel nous ne pouvons pas vraiment échapper. Retrouver le silence, c’est faire la paix avec les émotions que nous portons en nous et les apprivoiser pour pouvoir s’en libérer. Nous pouvons apprendre que le manque intérieur est une sensation qui apparaît et disparaît naturellement. Quand bien même cette émotion négative serait difficile à évacuer, pourquoi s’évertuer à vouloir la dissiper ? Les émotions négatives et positives font toutes deux partie de notre vie psychique. Dans le bouddhisme, la pratique du silence et de la méditation nous mène à laisser circuler ces émotions. Ce n’est que de cette façon que nous pouvons accéder à la vraie liberté intérieure". Pour Kankyo Tannier, il y a plusieurs façons de faire silence : des yeux, du corps et de l’esprit. "Nos yeux sont captivés par les écrans, les mouvements, les écrits… autant d’éléments qui nous emmènent ailleurs ; au travail : passer d’un écran à l’autre, éplucher ses mails en permanence, est directement lié à notre impression de surmenage et de trop plein d'informations. L’idée est donc de recentrer notre regard, de nous réapproprier notre capacité de concentration visuelle sur une seule chose, pour vraiment la regarder. La démarche est similaire pour le corps : prendre conscience de nos gestes, se recentrer physiquement, nous repose à l’intérieur. Cela passe par des exercices de respiration ou très simplement par le toucher : sentir le contact de ses doigts sur la peau, dans ses cheveux, le ressenti que provoque une texture particulière. Prenons le temps de décrypter ce que nous touchons. Pour le silence de l’esprit, nous écoutons trop souvent notre petite voix intérieure, qui n’est pas forcément tendre avec nous et qui crée des ruminations mentales néfastes. Laissons la voix s’écouler, prenons conscience de notre pensée mais sans intervenir".
Différentes approches de méditation (pleine conscience, zen, vipassana) permettent de mettre du silence dans notre quotidien et d'en voir progressivement les bienfaits.
En psychothérapie, le silence est un "outil". L'absence de communication verbale est connue comme étant "un mode fertile dans lequel le moi s'enrichit et se renforce, la source de cette croissance tranquille dans laquelle les distorsions du moi peuvent être réfléchies puis transformées". En écho aux remarques de Kankyo Tannier, un certain nombre de chercheurs relèvent que nos styles de vie nous détournent du silence, nous empêchant ainsi d'accéder aux bienfaits de la connaissance profonde de soi. Ils postulent une inadéquation psychobiologique fondamentale entre les humains et leurs environnements et modes de vie technologiques en grande partie non naturels. Dès les années 1950, Jung pointait déjà le fait que dans nos styles de vie modernes, dépourvus de temps calmes d'introspection et de réflexion, notre psyché était profondément perturbée...
Le silence complet, qu'il n'est pas toujours simple d'obtenir, amène à un sentiment de "dissolution", prémisse au sentiment de communion, de connexion avec plus grand que soi, offrant alors non seulement une dimension psychologique à l'expérience - celle du nécessaire sentiment d'appartenance - doublée de la dimension spirituelle - de quoi est fait "ce Grand Tout ?. Dans mon expérience personnelle, c'est à une heure avancée de la nuit, lors de bivouac en montagne, que j'ai observé les plus beaux silences, instants étranges où les frontières entre l'intérieur et l'extérieur s'effacent sans même que je prenne conscience de ce processus : à un moment, parfois fugace, "je" est devenu "tout". Dissolution, qui loin de me donner le sentiment de disparaître, m'ouvre les portes d'une quiétude sans nom. Il n'y a alors plus d'espace, plus de temps, juste ce sentiment que d'autres décrivent comme le sentiment "d'être", tout simplement.
Des travaux de recherche ont conceptualisé le silence comme phénomène qui motive l'individu vers l'auto-exploration et la connaissance de soi. La connaissance de soi s'obtient par le silence, en nous confrontant à un vide, à l'image de celui qui lui fait face. Et dans la nature, cet état contemplatif ne reflète pas seulement quelque chose sur qui nous sommes personnellement, mais qui nous sommes par rapport au vaste réseau interconnecté de la vie.
"La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède, nulle part.
J’ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d’être seuls et demandent au couple, au travail, à l’amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l’amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie.
Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d’être seuls fait d’eux les personnes les plus seules au monde." Extrait de L'épuisement, Christian Bobin
La solitude, dés lors quelle est choisie, devient une expérience profitable - et qui permet justement d'expérimenter ces voies du silence.
La solitude - tant qu'elle demeure choisie et/ou acceptée - est également un excellent moyen d'apprendre l'autonomie, de découvrir et développer ses propres capacités. Sans une aide extérieure, l'individu qui se met en situation de solitude, va pouvoir s'évaluer par lui-même (et non plus recevoir ou subir les jugements d'autrui, parents, professeurs, managers), se confronter à ses croyances limitantes et les éprouver, ainsi que s'essayer à repousser ses limites. S'efforcer de faire face seul à une situation conduit le plus souvent à l'obtention d'un résultat qui nous donne une image plus précise de ce que nous sommes en mesure de réaliser.
Alors qu'elle est classiquement associée à la fuite ou à l'isolement, la littérature sur la thérapie en milieu sauvage indique que la solitude est vécue très différemment dans ce type d'environnement. Elle est alors moins vécue comme une séparation de la société et ouvre davantage à une connexion au monde plus large. Plus que l'absence de communication le temps en solo est une façon d'expérimenter nos connexions et nos relations inconditionnelles avec le monde, et nous permet ainsi de répondre à notre besoin universel d'appartenance. Notons au passage que les « sentiments de connexion à quelque chose de plus grand » sont définis par l'Organisation mondiale de la santé (2002) comme une dimension existentielle de la santé. Et la recherche a montré par ailleurs que le bien-être et le bonheur sont associés à une définition de notre «moi» comme faisant partie d'un tout interconnecté. Reconnaître la vie comme interconnectée conduit au bien-être et incite à un changement fondamental dans notre mode de vie, basé sur le souci plus large du monde plutôt que de notre moi indépendant.
En plus de tous les effets positifs de la nature sur l'être humain que je ne détaillerai pas ici (à retrouver prochainement ...) l'expérience de solo dans la nature permet donc d'accéder aux bénéfices du silence et de la solitude. Avec cette forme de double paradoxe : dans la nature, le silence est rarement total (sons des animaux, du vent dans les arbres, de l'eau éventuellement, ...), et nous ne sommes jamais seul dans la mesure où nous y côtoyons d'autres formes de vie. C'est là toute la puissance de cette expérience : elle offre les conditions d'une reliance totale. Se rencontrer soi-même grâce à la tranquillité que confère l'éloignement de nos diversions sociales, rencontrer l'Autre lorsque cette expérience est menée dans un contexte facilité comme mentionné ci-dessus (également lors des jeûnes en itinérance que je propose), et rencontrer les autres formes de vie grâce à l'immersion dans la nature.
Parmi les nombreuses études sur les effets de la nature sur la santé, des recherches ont notamment montré que la nature restaure les capacités d'attention, favorisant une réflexion personnelle. Les études sur les expériences de solo en nature vont plus loin et montrent que, au delà des ressources d'attention accrues, une nouvelle perspective sur la vie, acquise par un sentiment de connexion, naît du silence et de l'écoute de la nature. D'une perspective centrée sur soi l'individu passe à une perspective plus englobante qui intègre le souci du monde plus vaste. La nature sauvage, en déclenchant un profond sentiment de connexion et d'unité, conduit dans de nombreux cas à des transformations majeures de soi.
Une invitation à questionner l'organisation de nos sociétés modernes occidentales
Souvent, c'est le retour à la réalité qui pose problème, le retour ""à la vraie vie"". Mais ne doit on pas questionner, remettre en question, transformer cette réalité ? Notre organisation sociétale est elle réellement un environnement fiable et compatible pour le développement de l'être humain ? Comment faire pour transformer cette société "d'enfants" qui se laissent "divertir" de toutes les façons possibles ?
Les études sur les effets du silence, de la solitude et/ou de l'immersion dans la nature sauvage soulignent les bénéfices d'un éloignement, d'une mise à distance de la société, des distractions et des pressions de la vie quotidienne. Toutes ces observations fournissent des clés pour le bien-être des individus, mais pour moi il s'agit aussi de s'interroger sur les fondements de l'organisation de notre société et les axes de développement futur. Notre monde moderne occidental repose sur la mise en place d'un même parcours pour tous, que Pierre Rabhi décrivait avec ironie : de la naissance à la mort nous n'aurions d'autres objectifs que de passer d'une boîte à une autre, (Dostoïevski parlait de cages) avec des temps communs et productifs imposés : travailler tous les jours (sauf parfois le dimanche), toute l'année (sauf l'été, et quelques jours en hiver). Mais ces rythmes imposés, non seulement vont à l'encontre de nos propres rythmes biologiques, vont aussi à l'encontre de notre environnement, avec la surfréquentation des routes et des transports "aux heures de pointe" et une surfréquentation des derniers espaces naturels "sauvages" durant les "temps de vacances autorisés". Ce modèle là n'est plus adapté mais force est de constater que nous manquons cruellement de leaders pour nous emmener vers une société plus respectueuse du vivant. La vie réside t-elle dans ce chemin tout tracé : obéir, apprendre par cœur, se vendre pour obtenir de quoi consommer, vieillir et mourir ? Réenchantons notre quotidien en réintroduisant de la beauté et d'autres formes de vie dans nos habitats, nos lieux de travail, nos villes ; respectons nos rythmes et nos cycles biologiques en revisitant nos modes de travail et d'organisation, nos relations ; et facilitons les expériences de nature pour que chacun puisse accéder à une meilleure compréhension non seulement de soi, mais aussi de l'environnement naturel duquel nous dépendons tous, et ainsi mesurer pleinement les enjeux de sa préservation.
En résumé et en conclusion
- Nous avons besoin de moments de silence et de solitude pour nous développer et assurer notre bien-être.
- Les expériences d'immersion dans la nature favorisent ces temps de silence et de solitude.
- De telles expériences peuvent être transformatrices si elles sont adaptées aux capacités et à la personnalité et correctement préparées (cf rôle du facilitateur).
- Ces expériences constituent une façon pertinente d'appréhender des changements sociétaux
- L'expérience de nature sauvage en solo s'apparente à une pratique de pleine santé, dans la mesure où elle permet d'agir et d'harmoniser avec notre environnement (les anglophones parlent d'attunement) toutes nos dimensions : émotionnelle, physique, psychique et spirituelle.
Le silence, comme une forme unique de contemplation, est vécu dans la nature sauvage comme un état d'être, par lequel la conscience et la connexion à la nature à la fois interne et externe sont renforcées ; l'authenticité et la connaissance de soi qui caractérisent cet état d'être sont essentielles dans la recherche du sens de la vie.
La solitude dans la nature sauvage permet de prendre conscience de notre appartenance au monde, et notre bonheur et notre bien-être sont liés à ce sentiment d'appartenance et d'interconnexion.
L'interaction entre silence, solitude et nature conduit à des changements transformationnels profonds.
Références :
- Ce que les peuples racines ont à nous dire, Frederika Van Ingen (2020)
- Solos, Christophe Moulin (2005)
- https://www.adaptationexpe.com/fr/christian-clot/
- https://www.outwardbound.org/
- https://www.nols.edu/en/
- https://schooloflostborders.org/about/
- https://academieaurore.org/
- Naor, Lia & Mayseless, Ofra (2020). The Wilderness Solo Experience: A Unique Practice of Silence and Solitude for Personal Growth. Frontiers in Psychology 11.
- https://attunement.org/what-is-attunement/
- Interview de Kankyo Tannier : https://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Epanouissement/Interviews/Cultiver-le-silence-pour-faire-la-paix-en-soi
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